Bas les masques
Jacques Ponzio
Quelle différence y a
t’il entre le bruit d’une porte qui grince, d’un soupir qui s’exprime dans le
plaisir ou à la toute fin, le dernier, et le concerto pour une porte et un
soupir de Pierre Henry, pour ne rien dire du marteau sans maître?
Aucune, ou presque,
sur le plan pur de ce qui met en vibration l’air qui nous entoure, le son.
Toute, ou presque, sur le plan pur du désir de
donner à entendre et de son corollaire, le désir d’écouter, la musique.
Autre exemple :
qu’est-ce qui fait que le même plat de spaghetti couvert de gruyère râpé sera
perçu de façon si différente selon qu’il est regardé par un Biafrais
sous-alimenté, un critique gastronomique ou un top-model ? Le rapport à la
nécessité.
Bon, mais, quel
rapport avec les masques, cette thématique dans laquelle j’ai souhaité inscrire
ce texte ? On y vient, pas d’impatience.
Prenons une femme nue.
Enfin, quand je dis prenons, c’est au sens figuré, hein ? Selon qu’elle
est allongée sur une plage pour bronzer ou en train de danser sur la scène du
Crazy Horse, elle est totalement différente, tout en étant possiblement la
même.
La même ? Voire.
C’est là qu’intervient la notion de
masque, sous la forme du trop fameux cache-sexe, lequel a remplacé sur les
photos de couverture des magazines ou les illustrations de jeux de cartes
« cochons » vendus sous le manteau à l’époque pré-ixienne des années
cinquante, la brume ou le flou qui désignaient d’un voile pudique ce qu’il ne
fallait pas voir à l’endroit précis où il fallait, bien entendu, regarder.
Donc, le même petit
minuscule triangle de tissu noir ou bariolé ou encore cousu de sequins
brillants remplace le « flou-artistique ». Mais quelle serait alors
sa fonction. On dira un peu vite qu’un cache-sexe c’est fait pour cacher le
sexe.
Oulà, mais non, pas du
tout !
Le masque dont on
parle ici intervient dans un projet, exactement
comme ce qui fait d’un grincement de porte une œuvre musicale. Dans un
cas un projet musical, dans l’autre un projet érotique.
On pourra toujours arguer du fait que certains puissent
trouver leur jouissance dans l’observation à la dérobée de ce qui s’offre à
voir sans forcément désir de soulever
l’étoffe du maillot ou du pantalon du passant. De même, on pourra
trouver dans les bruits de la vie, les bruits de la ville, des mélanges, des
mixages qui en font, à leur insu, des choses intéressantes sur le plan musical.
Évidemment, il y a toujours des possibilités qu’une demande rencontre son
offre.
Si un ou une nudiste a
froid, il/elle peut se couvrir entièrement, mais pas le sexe. Par contre, si
une stripteaseuse a chaud, elle peut se découvrir entièrement, sauf le sexe.
Ah !
On comprend bien dès
lors, que le cache sexe, chez la femme est fait, non pas pour cacher le sexe,
mais pour le montrer ! Le montre-sexe, s’il cache quelque chose, ce sont
les poils. Pas très élégant quand même de dire qu’une telle a mis son
cache-poils pour entrer en scène…
Chez l’homme, c’est un
peu différent car si le cache-sexe cache bien, effectivement, le sexe, il est
là pour révéler la mise en tension cachée
par la vision des lignes de fuite du tissu qui trace la perspective de
ce qui va advenir : promesse du
désir de l’autre, certitude imaginaire de jouissance ?
Le masque, on le
comprend maintenant, permet de passer du monde de la nécessité, de ce qui est
subi, au monde du plus-de-jouir, de ce qui est recherché pour sa plus-value.
Le masque, qu’on le
sache ou pas, transforme le besoin en désir.
Balèze, hein ?